BONNE OU MAUVAISE LANGUE ?


Jacques 3 : 1 à 12

Qu’on l’ait bien pendue ou sache la tenir ; qu’on soit mauvaise langue ou langue de bois, nous avons tous fait l’expérience du rapport complexe et délicat que nous avons à nos paroles. Qui n’a jamais eu la langue qui dérape ? Comment Jacques nous aide à réfléchir à cette question ?

  • Lecture de Jacques 3 : 1-12

Rappel du contexte

Après avoir vertement critiqué à la section précédente l’incohérence de ceux qui prétendraient séparer la foi biblique des œuvres qui doivent en résulter, rappelant que la foi sans les œuvres est vide, qu’une belle confession de foi sans actes d’amour ne sert à rien, Jacques aborde maintenant un autre problème, celui du rapport complexe que chacun de  nous peut entretenir avec sa langue, c’est-à-dire avec l’usage de la parole.

Qu’on l’ait bien pendue ou qu’on sache la tenir ; qu’on soit mauvaise langue ou langue de bois ; qu’elle tourne sur elle-même ou qu’elle fourche,  nous avons tous fais l’expérience de ce rapport complexe à notre langue, des risques auxquels nous expose l’acte de parler. Jacques Salomé, psychosociologue et spécialiste de la communication, rappelle que : « Parler peut nous entraîner à vivre deux risques majeurs. Le premier la déception (qui peut se transformer en blessure) de ne pas être entendu, le second de se confronter à une immense désillusion, celle de découvrir l’incroyable fossé qu’il y a entre ce que je dis et ce qui est perçu par l’autre. » J’ajouterai volontiers un troisième risque auquel l’autre Jacques, celui que nous lisons ce matin nous rend particulièrement attentif, celui des paroles destructrices, des mots « revolvers », ceux qui peuvent blesser ou tuer l’autre !

  • Qui peut prétendre maîtriser de manière parfaite sa langue ?

Quel est  l’homme, quelle est la femme qui pourrait maîtriser parfaitement sa langue ? Une telle personne serait, selon Jacques, parfaite. Mais, excepté le Christ, telle personne est-elle déjà née ?

Jacques qui n’est pas homme de grandes théories. Il  reconnaît humblement qu’en matière d’usage de la parole, « nous trébuchons tous à maintes reprises. » 

A ceux qui, au sein de la communauté se bousculaient pour enseigner, quelles que furent leurs motivations réelles, Jacques rappelle que le privilège du didaskale, de l’enseignant, de qui l’on peut attendre une parole experte, s’accompagne aussi d’une grande responsabilité, c’est-à-dire de l’exigence de répondre de sa parole.

1Ne soyez pas nombreux à devenir des maîtres, mes frères : vous le savez, nous recevrons un jugement plus sévère. 

Ce rappel du jugement, implique l’idée que, pour nous chrétiens, nos paroles sont des paroles dites non seulement devant les hommes, mais aussi devant notre Dieu qui sonde les motivations profondes (sonde les cœurs et les reins) et évaluent justement le poids de nos mots. Jacques est fidèle ici à cette parole déjà rappelée en 2.12 :

« Parlez et agissez comme des personnes appelées à être jugés par une loi de liberté » 

Dès lors, cette prise de conscience que l’acte de parler ne va pas sans l’exigence de devoir en répondre devant Dieu, devrait nous amener à veiller à canaliser la parole.

  • Canaliser ou dompter la parole

Notre parole est capable de beaucoup de choses, pour le meilleur et le pire. Aussi, nous faut-il apprendre à canaliser nos paroles, comme celui qui commence le jeune cavalier qui débute l’équitation doit apprendre les fondamentaux : maîtriser son équilibre, contrôler la propulsion de son cheval ; être capable de diriger son cheval. Nous connaissons tous la puissance d’un cheval par rapport à celle de l’homme qui le monte. La disproportion dans le rapport de force est impressionnante. Pourtant l’homme est parvenu à trouver le moyen de contrôler la puissance de sa monture au moyen d’une bride et d’un mors. 

Comme une petite bride peut avoir des effets aussi impressionnants ! Comme un petit gouvernail permet de diriger un immense navire ! De même, la langue, ce petit organe de 10 cm en moyenne, est capable de bien de dégâts ! Jacques ne manque pas d’images et d’expressions assez fortes pour nous mettre en garde contre un usage irresponsable de ce petit organe.

Il la compare à un petit feu qui peut embraser une grande forêt. Nous avons tous en tête les images des feux de forêt dans le sud de la France ou plus impressionnant encore les images de l’Australie et les dégâts incroyables causés par ces feux… Ainsi il y a des paroles qui allument des feux destructeurs, qui blessent, qui tuent  les autres. Les paroles humiliantes, dévalorisantes, haineuses, etc. qui font mal… Nous devons être éduqués à l’usage de la parole. La Bible reconnaît l’importance de l’instruction en vue du bon usage de la parole. Lire proverbes 18.4-7, 21-22

Comme un serpent, certains de nos mots sont chargées d’un venin qui empoisonne nos vies ou celles des autres… Jésus nous a également mis en garde : ce n’est pas ce qui entre dans la bouche de l’homme qui le souille, mais ce qui sort de sa bouche… qui trahit souvent l’état de nos cœurs… 

  • Appelés à bénir et non à maudire

La situation embarrassante dans laquelle nous place souvent l’acte de parler n’est toutefois pas une fatalité. Nous ne pouvons peut-être pas dompter parfaitement la langue, mais nous pouvons quand même choisir le registre de la bénédiction plutôt que celui de la malédiction.

Maudire, c’est souhaiter le mal à l’autre, c’est vouloir sa perte ou sa destruction. Jacques souligne qu’il y a dans cette attitude quelque chose de contre nature avec le fait d’être chrétien. De même qu’on n’attend pas du figuier qu’il produise des olives ni de la vigne qu’elle donne des figues, de même l’on n’attend pas de la bouche du chrétien que sortent des paroles de malédictions et de destruction du prochain. En effet le chrétien est celui qui est appelé à bénir, à souhaiter le bien et à dire le bien, pour le relèvement et l’édification de l’autre. 

Ephésiens 4 :9 qu’il ne sorte de votre bouche aucune parole mauvaise, mais, s’il y a lieu, quelque bonne parole qui serve à l’édification et communique une grâce à ceux qui l’entendent

En choisissant la parole de bénédiction plus tôt que la parole de malédiction, nous manifestons une attitude inspirée par celle de notre Père céleste. Je m’explique en quelques mots. Les références au serpent et à la malédiction mentionnée par Jacques, me font penser au récit de Genèse 3 qui nous rapporte le péché d’Adam et Eve. J’observe en relisant ce récit que, si Dieu prononce effectivement des paroles de sanctions contre les protagonistes, il n’a jamais une parole de malédiction contre Adam et Eve. Mais c’est le serpent et le sol qui sont l’objet de paroles de malédiction dans ce récit (Gn 3.14-17) Certes, Adam et Eve sont chassés du jardin d’Eden avec toutes les conséquences terribles résultant de leur désobéissance. Toutefois, nous pouvons observer que la bénédiction prononcée par Dieu en Genèse 1.28s n’est pas remise en question. En outre, en dépit de leur faute, Dieu dans sa grâce annonce déjà un chemin de rédemption, car la postérité de la femme écrasera la tête du serpent (Gn 3.15) Il y a donc de l’espérance, ce qu’on a appelé le proto-évangile, c’est-à-dire les prémices de l’annonce de la Bonne nouvelle de la Rédemption que le Christ, né de la vierge Marie, a accompli parfaitement à la croix. 

  • De Jacques à nous 

De Jacques à nous, le problème de la gestion de la langue se pose toujours, mais autrement. Il est rare dans nos Eglises que les gens jouent des coudes pour prendre la parole en assemblée et se poser en docteur. A l’époque du 2.0, c’est surtout à travers les réseaux sociaux que la parole, décomplexée, prospère pour le meilleur et le pire. Je pense que si Jacques vivait à notre époque, il aurait prêché en disant : mes frères et sœurs, ne soyez pas nombreux à vous répandre sur les réseaux sociaux, à donner votre avis sur tout et n’importe quoi… En effet, les réseaux sociaux, qui ont volontairement choisi un mode de fonctionnement où tous les propos peuvent s’exprimer sans modération aucune (ou très faible), sont des caisses de résonnance qui amplifient davantage les paroles qui font le « buzz » souvent autour de faits divers plus ou moins avérés.

Avoir une parole de modération, une parole mesurée et responsable est un défi pour nous aussi. Puissions-nous être inspirés par l’exhortation de  Jacques qui me rappelle aussi cette parole de l’Apôtre Paul aux Colossiens : Colossiens 4 : 6 Que votre parole soit toujours accompagnée de grâce, assaisonnée de sel, afin que vous sachiez comment il faut répondre à chacun.

Face au mal et à la tentation de nous laisser vaincre par lui, le Christ lui-même nous invite à choisir une réponse puissante :

« Vous avez appris qu’il a été dit : Tu aimeras ton prochain et tu détesteras ton ennemi. Mais moi je vous dis : Aimez vos ennemis, bénissez ceux qui vous maudissent, faites du bien à ceux qui vous maltraitent et qui vous persécutent, afin d’être les fils de votre Père céleste… » (Mt 5.43s)

La loi du talion rappelée plus haut était déjà une mesure de limitation de la violence populaire en établissant le principe de la proportionnalité et de la réciprocité du châtiment là où pour un œil crevé on prenait la vie d’un homme. Ici Jésus va plus loin. L’esprit de ses paroles nous invite à casser l’engrenage de la méchanceté par le bien. La radicalité de la non-violence comme attitude à laquelle le disciple est appelé n’est pas un aveu de faiblesse, mais un appel à une résistance active visant à ne pas se laisser transformer par le mal. Et cette résistance active par le bien n’exclut aucunement le recours par exemple à la justice qui est précisément chargée de stopper le méchant. 

En choisissant de bénir, nous disons au prochain le bien que Dieu veut pour lui. Nous affirmons que le trébuchement du prochain, la méchanceté et la turpitude de l’homme peuvent être vaincus par la grâce du Dieu de toutes bénédictions. 

Amen !

Pasteur Paul Efona