CONFONDRE VIOLENCE ET CONFLIT


LES ÉGLISES FACE AUX VIOLENCES CONJUGALES | PARTIE 3 |

 

Il arrive que les conflits au sein d’un couple dégénèrent en violences verbales, psychologiques, économiques, physiques. Il est important, lorsqu’ils ont connaissance de ces situations, que les responsables ne confondent pas conflit et violence. 

Etymologiquement, le mot conflit dérive du substantif latin conflictus qui signifie heurt, choc, affrontement. Ce heurt résulte de désaccords relatifs aux biens, aux objets, aux intérêts ou aux personnes, qu’elles soient morales ou physiques.

Dans le cadre de personnes physiques, Frédéric Rognon parle d’un « désaccord vécu comme un rapport de forces […]. Un conflit n’est donc pas un simple désaccord, mais un désaccord qui périclite au point de devenir facteur de tensions et d’oppositions. »1

Dans le foyer, mari et femme sont en principe dans une relation égalitaire que le désaccord ne remet pas en question. Le conflit sera, suivant sa gestion par le couple, soit porteur de positivités soit porteur de négativités. C’est là toute l’ambivalence du conflit ou plus exactement de la gestion d’un conflit. Un désaccord bien géré peut être pour les époux une opportunité permettant des réajustements heureux susceptibles de réorienter positivement la dynamique conjugale. Une mésentente mal gérée risque de mettre à mal la dynamique relationnelle dans le foyer et même de dégénérer en agressions. Mais alors, qu’est-ce qui distingue le conflit de la violence ?

D’une manière synthétique, Frédéric Rognon définit la violence comme « la négation de l’autre ou de soi-même en tant que personne humaine, en tant qu’être pourvu de dignité […]. La violence est donc l’instrumentalisation de l’autre ou de soi-même, sa réduction à un moyen, au lieu de le considérer comme une fin en soi. »2

Elle est donc tout ce qui aliène la dignité de l’autre en portant atteinte à son intégrité physique, sexuelle, psychologique, et morale. Notre rapport immédiat à la violence a tendance à la réduire à sa seule dimension physique, quand il y a des coups, des blessures, des fractures, bref tout ce qui laisse des traces et des marques sur le corps qui permettent de remarquer/constater les sévices. Une telle vision est restrictive parce qu’elle passe à côté des autres formes de maltraitances, plus difficiles à détecter, puisqu’elles ne nous sautent pas immédiatement aux yeux. C’est le cas des violences psychologique, structurelle et symbolique.3

Les violences conjugales ne peuvent s’inscrire dans le cadre de la médiation, qui suppose un positionnement égalitaire des protagonistes, ce qui est fondamentalement le contraire dans les maltraitances commises par le mari. Celles-ci surviennent le plus fréquemment parce qu’il (lui ou un ex) dénie à son épouse cette égalité et se maintient dans une position haute, de domination, pour exercer une emprise et un contrôle sur sa femme, généralement d’ailleurs en refusant la séparation.

Il convient de rappeler que la médiation familiale s’inscrit dans le cadre général des séparations familiales. Sa visée première n’est donc pas la réconciliation des époux, mais l’élaboration commune et paritaire, avec l’aide d’un tiers professionnel, d’objectifs partagés par deux personnes qui ne sont plus, ou ont déjà décidé de ne plus être, liées par le lien conjugal. Par exemple, les époux ont décidé de saisir la justice pour divorcer, mais les deux souhaitent agir dans l’intérêt commun de leurs enfants et ont besoin de l’aide d’un médiateur familial pour les accompagner dans cette démarche.

De l’avis de nombreux spécialistes : « La médiation dans les situations de violences conjugales est une solution qui maintient le problème ou l’aggrave, car elle nécessite la mise en place d’un dispositif qui replace la victime en présence de son agresseur, et donc en position de soumission : elle tend à rendre interactive la responsabilité de l’acte violent, à donner à la victime une part de responsabilité dans cet acte, et à privatiser ou minimiser la nature délictuelle ou criminelle des violences conjugales. »4

La médiation n’est donc pas une panacée. Sa mise en œuvre au sein d’une assemblée par des personnes non professionnelles est extrêmement problématique, et ajoute à la confusion courante entre conflit et violence. Cette confusion est très préjudiciable aux femmes maltraitées.

Face à une victime, il est important que le pasteur affirme clairement que, quelle que soit les formes qu’elle prend, la violence est un acte grave, interdit et répréhensible par la loi. Ce n’est pas parce qu’une maltraitance ne se voit pas physiquement qu’elle n’en est pas une. Il est vrai que les pasteurs ne sont pas toujours au courant des agressions dissimulées dans le cadre domestique, et parfois même cachées par les femmes. Cela s’explique entre autres, par l’intériorisation de la violence symbolique chez la plupart d’entre elles. Elles pensent qu’elles ne sont pas aimables, qu’elles ne valent rien, qu’elles sont nulles, qu’elles méritent les coups.

Mais dès lors qu’ils ont connaissance d’insultes, d’humiliations, même si le passage à l’agression physique n’a jamais eu lieu, les responsables doivent nommer cette violence et clairement la condamner. Une femme a besoin d’entendre que les insultes, les humiliations, les privations, le harcèlement moral, sont des actes graves, violents, injustifiables et légalement répréhensibles. Une femme qui subit des sévices est une personne en danger de mort. Elle a besoin de savoir qu’elle doit impérativement se protéger et on doit l’encourager à porter plainte contre son mari (ou son ex) qui la brutalise.

Malheureusement, les victimes, au motif qu’elles sont chrétiennes, sont ordinairement dissuadées, ici et là, de porter plainte contre leur mari. Cette interdiction est-elle bibliquement fondée, comme on l’entend parfois dire ?

Paul EFONA, pasteur et conseiller conjugal et familial


1 Frédéric Rognon,Gérer les conflits dans l’Église, Olivétan, 2014, p.16-17.Frédéric Rognon,Gérer les conflits dans l’Église, Olivétan, 2014, p.16-17.

2 Frédéric Rognon, op cit, p.21.

3 La violence est une réalité multidimensionnelle. Aussi distingue-t-on plusieurs formes de violences. La violence physique renvoie aux atteintes de l’intégrité physique d’une personne ; la violence psychologique se rapporte à tout ce qui touche à l’intégrité affective de la personne, à son équilibre intérieur ; la violence structurelle est quant à elle relative aux structures sociales ou économiques qui favorisent les injustices et inégalités sociales ; la violence symbolique ou culturelle désigne tout ce qui dans les discours,  les représentations, les idéologies légitime la violence sous ses différentes autres formes.

4 Micheline Christen, Charles Heim, Michel Silvestre, Catherine Vasselier-Noveli, Vivre sans violences ? Dans les couples, les institutions, les écoles, Erès, 2005, p.114.


Pour aller plus loin :

 

Violences conjugales : Les identifier pour agir en Eglise