D’OÙ VIENNENT LES CONFLITS ?


D’où viennent les conflits et les luttes qui polluent le vivre ensemble ? L’analyse de Jacques met en évidence, entre autres, à la racine de nos conflits : un égocentrisme exacerbé,  le cœur partagé et une mauvaise gestion de la frustration. 

  • Lecture de Jacques 4 : 1 – 11

Dans ce nouveau chapitre, Jacques aborde la question des divisions et des rivalités au sein de l’Eglise. Les mots que Jacques emploient pour décrire la nature de ces divisions sont forts :

  • Guerre : (en grec, polèmos) qui signifie faire la guerre (Ap. 19 :11). Il est employé par exemple en Mt 24.6 où Jésus aborde la question des signes de la fin des temps : « vous entendrez parler de guerres et de menaces de guerres : ne vous laissez pas effrayer, car il faut que toutes ces choses arrivent. Cependant ce ne sera pas encore la fin »
  • Querelles/luttes : (en grec, machè) qu’on peut encore traduire bataille, combat. L’apôtre Paul emploie par exemple ce terme en 2 Co 7 : 5 pour décrire l’hostilité qui leur a été opposée en Macédoine dans le cadre de leur mission : « Depuis notre arrivée en Macédoine en effet, nous n’avons connu aucun repos ; nous étions au contraire pressés de toutes parts : luttes au-dehors, craintes au-dedans… »

Jacques est préoccupé par le problème des luttes entre chrétiens. Il les interpelle en leur adressant une double question par laquelle il veut susciter leur réflexion et une prise de conscience :

  • D’où viennent les guerres et d’où viennent les luttes chez vous ?
  • N’est-ce pas de vos passions/plaisirs (en grec hèdonè, qui a donné en français hédonisme, un courant philosophique qui érige en morale la recherche du plaisir et l’évitement de la souffrance) qui combattent sans cesse (continuellement), l’action est toujours en train de se produire dans vos membres ?


Une interpellation individuelle et communautaire

Jacques en appelle donc à la réflexion, à la conscience des croyants. Même si l’on peut imaginer que ces luttes et batailles opposaient quelques-uns seulement, l’interpellation n’est pas seulement individuelle, mais concerne toute la communauté. C’est la communauté toute entière qui est invitée à se penser comme un lieu où les frères et sœurs sont exhortés à ne pas batailler, à sortir des guéguerres intestines qui sont un contre-témoignage autant que la preuve d’une mentalité qui ne s’est pas encore laissée pénétrée et transformée par la sagesse d’en haut dont Jacques à parler à la fin du chapitre précédent. Bien au contraire, ces luttes sont le fruit de la sagesse terrestre, humaine et diabolique parce qu’elle conduit aux divisions. A la fin du chapitre 3, voici ce que Jacques disait :

« Mais si vous avez le cœur plein d’une jalousie amère et d’esprit de rivalité, cessez de vous vantez d’être sages, en faussant ainsi la vérité. Une telle sagesse ne descend pas du ciel ; elle est terrestre, trop humaine, diabolique. Car là où règnent jalousie et esprit de rivalité, il y a aussi le désordre et toute espèce de mal. » (Ja 3.14-16)

Jacques a donc sa petite idée. Mal inspirés par la sagesse humaine, démoniaque (une sagesse qui se coupe de toute référence à l’amour de Dieu et du prochain), les auditeurs de Jacques ont plusieurs difficultés qu’ils ne parviennent pas à bien gérer

Première difficulté : Comment gérer nos désirs frustrés ?

Relire les versets 2-4. Ce qui me frappe à la lecture de ces versets c’est la manière dont Jacques met en opposition les attentes de ces auditeurs d’un côté et le fait de ne pas avoir les choses désirées de l’autre côté.

La non possession de la chose convoitée, la non satisfaction du désir enfante une frustration que les auditeurs de Jacques ne semblent pas savoir gérer. Et nous, comment vivons-nous nos frustrations, nos attentes déçues ? Sommes-nous comme ces enfants gâtés qui ne supportent pas la moindre frustration et qui piquent des colères insensées parce qu’ils ne supportent pas la frustration ? J’ai observé ce comportement tant de fois en faisant mes courses. Un enfant veut ces bonbons, ce chocolat, et encore cet autre gadget qu’il a vu à la télévision. Alors, il demande, flatte son parent, insiste et parfois obtient ce qu’il désirait. Mais il arrive que certains parents ne cèdent pas devant tous les caprices de leurs enfants et que l’enfant pique une colère en plein magasin… j’ai même entendu un enfant dire à sa maman : « c’est parce que tu ne m’aimes pas que tu refuses de m’acheter ça ! » Enfant, si tu m’écoutes, sache que ce n’est pas parce que ton parent ne te donne pas tout ce dont tu as envie qu’il ou elle ne t’aime pas ! 

Ce que les psychologues nous disent à propos de la frustration

La frustration est une réponse émotionnelle à l’opposition ressentie. Liée à la déception voire la colère, elle peut subvenir face à une résistance, que l’on pense percevoir, à l’encontre de sa volonté ou de ses désirs. Plus la volonté ou les désirs de l’individu comme l’obstruction qui s’y oppose seront importants, plus forte sera la frustration.

Or la frustration ne surgit pas de nulle part : elle est provoquée. La frustration est le résultat de l’impossibilité à accepter ses limites. Elle est encouragée par la société de consommation, qui a intérêt à entretenir chez le sujet l’idée que ses désirs sont illimités et qu’ils peuvent être satisfaits par un acte d’achat, ce qui est évidemment faux.

Quand elle n’est pas résolue, la frustration continue à bouillir en nous et finit par mener tout droit à la jalousie amère dont parle Jacques. 

Alors, comment mieux gérer nos frustrations ?

  • Se distancier émotionnellement de l’évènement qui a provoqué en nous ce sentiment. Cette mise à distance permet notamment, en analysant objectivement la situation qui se pose à nous, de se distancier aussi de la pression des émotions comme la tristesse ouu la colère qui nourrissent la frustration. Cette distance permet aussi de distinguer des choses souvent confondues : désir, besoin, réalité. Tu veux/désire progresser dans ton poste, parce que tu as un  besoin personnel que l’on reconnaisse tes compétences, mais ton supérieur hiérarchique n’accède pas à ta demande. Tu fais quoi ? surtout ne pas prendre de décision immédiate…
  • Identifier sa frustration et la laisser aller : il ne s’agit donc pas de refouler sa frustration, mais d’apprendre à l’identifier en nous, à l’accueillir (ce qui ne veut pas dire exploser en colère) pour la laisser passer, c’est-à-dire lâcher sa prise en nous.
  • Eviter d’agir avant d’avoir pris le temps d’analyser la situation : la frustration comme la colère n’est pas bonne conseillère et peut être source d’un comportement négatif. L’une des réactions que suscite la frustration c’est l’agression dirigée vers la personne ou l’objet qui a généré cette frustration… dominés par notre frustration, nous sommes prêts à tuer l’autre, au sens de la haine meurtrière qui souhaite à l’autre tout le mal imaginable… 
  • Evaluer s’il s’agit d’une situation que vous pouvez changer ou que vous devez accepter

La frustration est aussi une épreuve du réel et du possible ou non. Certaines situations sont figées et ne changerons pas. Vous auriez peut-être aimé être un grand mec, black et impulsif (j’ai pas dit camerounais !) . Mais vous êtes une charmante demoiselle blanche et râlleuse (j’ai pas dit française !). Alors, il y a pour vous, en principe au moins 2 choses que vous ne pouvez pas changer: votre couleur de peau et votre genre (je sais que le second point est aujourd’hui très débattue, on en reparlera une prochaine fois) ; mais il y a une chose que le grand mec noir et vous-même pouvez changer ou atténuer : le comportement impulsif ou la propension à raller.

Ce qu’on ne peut pas changer, on travaille sur soi pour l’accepter. Et ce qu’on peut changer, on travaille sur soi pour mettre en place ce changement.

Deuxième difficulté : Comment demander à Dieu selon sa volonté ?

Les auditeurs de Jacques avaient un autre problème : Ils ne savaient pas demander et lorsqu’ils demandaient à Dieu, leurs demandes n’étaient pas motivées par l’amour de Dieu et du prochain. 

Nous avons dans la Bible plusieurs exemples de mauvaises demandes :

  • Exemple de demandes adressées à la mauvaise personne : 

« Lorsque Rachel vit qu’elle ne donnait pas d’enfants à Jacob, elle fut jalouse de sa sœur [Léa] et dit à Jacob : Donne-moi des enfants ou je meurs ! » La colère de Jacob s’enflamma contre Rachel et il dit : suis-je à la place de Dieu qui t’empêche d’avoir des enfants… » (Gen 30.1-2)

Rachel attend de Jacob qui l’aime, quelque chose qu’il ne peut pas lui donner… Elle apprendra avec le temps à adresser sa demande à la bonne personne, c’est-à-dire à Dieu qui est l’auteur et le donateur de toute vie. Plus loin, au verset 22ss il est écrit : « Dieu se souvint de Rachel, il l’exauça et lui permit d’avoir des enfants. Elle tomba enceinte et mit au monde un fils… elle l’appela Joseph en disant que l’Eternel m’ajoute un autre fils ! »

Je précise ici que je n’aborde pas le sujet douloureux de la stérilité ni des représentations socio-culturelles sous-jacentes à ces textes. Notre question concerne uniquement la demande. Ici, nous voyons une demande explicite qui est adressée à la mauvaise personne et motivée par une jalousie et une rivalité conjugale, dans un contexte polygamique, une autre question que je n’aborde pas ici.

  • Exemple de demande motivée par l’ambition humaine du pouvoir : 

La demande de la mère des apôtres Jean et Jacques, fils de Zébédée : « Maître, ordonne que mes fils soient l’un à ta droite, et l’autre à ta gauche dans ton Royaume » 

Madame Zébédée avait vu ses enfants quitter l’entreprise familiale pour suivre Jésus, alors un inconnu. Elle et ses fils avaient encore la vision d’un Messie politique qui établirait son règne à Jérusalem. Elle a comme toutes les mères (et les pères) un projet pour ses enfants, une ambition que nous pouvons comprendre : elle souhaite les meilleures places pour ses enfants. S’ils ont quitté les filets pour suivre Jésus, eh bien, qu’ils soient récompensés. 

 La réponse de Jésus : vous ne savez pas ce que vous dites ! Ce n’est pas le temps des récompenses, mais celui des combats et des luttes. Vous n’êtes pas appelés à dominer et à avoir autorité les uns sur les autres, mais à être au service les uns des autres. La mère de Jean et Jacques comprendra ces paroles de Jésus lorsqu’elle le verra sur la croix, avec à sa droite et à sa gauche deux hommes qui auraient pu être ses fils. Elle comprend alors que sa demande était risquée et déplacée. A la croix, point culminant du don de soi et du service que le Christ a accompli pour notre rédemption, le regard de madame Zébédée est définitivement converti, transformé. Désormais, elle n’a plus d’autre ambition pour elle-même et ses fils, que de suivre et servir celui qui a donné sa vie pour elle.

Oh, puissions-nous aussi nous tenir avec nos demandes au pied de la croix et être changés par notre Seigneur qui s’est fait serviteur !

  • Dieu veut que nous lui demandions, selon son cœur

Jésus nous le rappelle « Demandez et l’on vous donnera… » (Mt 7.7) Mais ne demandons pas n’importe comment. Il nous faut apprendre à demander humblement comme les disciples qui demandèrent à Jésus : « Seigneur apprend-nous à prier… » (Lc 11.1s) car nous ne savons pas toujours comment il convient de prier et de demander comme le dit si humblement le grand Apôtre Paul lui-même (Rom 8.26). Mais il nous faudrait consacrer plusieurs prédications à ce seul sujet. Je me limiterai donc simplement à quelques rappels généraux et partiels.

  • L’Ecriture nous invite à demander d’abord avec foi, c’est-à-dire avec une attitude de confiance à l’égard de la bonté de Dieu qui existe, écoute nos prières et veut nous donner ce qui est bon pour nous (Hébreux 11.6)
  • L’Ecriture nous invite à croire que Dieu connaît nos besoins et mieux que nous, connaît ce qu’il nous faut… Inutile de rabâcher en croyant que notre père céleste ne connaît nos besoins… (Mt 6.5-7)
  • La prière que Jésus enseigne aux disciples nous rappelle que Dieu n’est pas notre coursier, et que l’enjeu de la prière n’est pas d’abord d’y trouver notre compte, mais d’y chercher en premier lieu la volonté de Dieu et la manifestation de son règne dans nos vies et dans celle de nos semblables… cherchez premièrement le Royaume de Dieu et sa justice… (Mt 6.7-13 ; 31-33)

Troisième difficulté : Orgueil quand tu nous tiens !

Jacques n’a pas fait la faculté de psychologie pour analyser que les conflits, les guéguerres qui opposent ses auditeurs prospèrent sur le terreau de l’orgueil. Ils sont enflés d’orgueil et de prétentions les uns à l’égard des autres.  Au fond, leur situation révèle de manière générale une mauvaise santé spirituelle, ce que Jacques, en bon pasteur va diagnostiquer avant de proposer un chemin de dépassement

En guise de conclusion

  • Diagnostic : un cœur malade 

Jacques pose d’abord un diagnostic spirituel qui révèle que, de manière générale, ses auditeurs sont spirituellement malades. Ils ont mal à l’amour de Dieu et du prochain. Leur attachement aux plaisirs qu’ils veulent assouvir à tout prix, a pris le pas sur la relation à Dieu et au prochain. Ils aiment plus leurs plaisirs, leurs passions, ce que Jacques appelle l’amour du monde qu’ils n’aiment le créateur du monde. Ils ont oublié l’alliance qui les lie à ce Dieu comme le mariage lie un homme et une femme. Aussi, en se passionnant pour satisfaire leur plaisir à eux, ils ont oublié que Dieu les aime d’un amour zélé, d’une sainte jalousie qui chérit l’esprit qu’il a mis en nous. Aussi Jacques pointe-t-il l’adultère qui est un manque de fidélité. Les auditeurs ont choisi d’aimer deux maîtres : Dieu et leurs passions. Mais nul ne peut servir deux maîtres à la fois, sans que l’un ne soit trompé ! Quand l’amour pour Dieu est malade, l’amour pour le prochain est rarement en bonne santé. Les symptômes de la maladie se manifestent comme les boutons de la varicelle : luttes, querelles, jalousie, haine meurtrière, orgueil, et les médisances dont nous parlerons prochainement.

  • Traitement : Soumettez-vous à Dieu et résistez au diable

Quand on est malade, on ne va pas devant un juge, mais on va devant un médecin. Dieu veut nous guérir et nous délivrer de tout mal. Jacques encourage donc ses auditeurs à revenir devant le trône de la grâce : « Approchez-vous de Dieu et il s’approchera de vous » quelle promesse ! Dieu ne met jamais dehors la personne qui vient à lui avec un cœur sincère. Purifiez-vos cœurs… En réalité, ce n’est pas nous qui pouvons le faire. Mais Jacques sait que Dieu ne nous change pas malgré nous. Cette purification des mains (extérieur/comportement) et du cœur (pensées/motivations/intériorité) se traduit concrètement par ce que la Bible appelle la repentance : reconnaître notre misère, notre condition de pécheurs devant Dieu. S’humilier devant Dieu en abandonnant l’orgueil qui nous tient si souvent. Alors, bonne nouvelle : Dieu vous relèvera !

Ce n’est pas parce que ça commence mal que ça doit se terminer mal. Ce que Dieu veut c’est notre relèvement, c’est que nous changions et que nous vivions selon sa parole.

Amen !

Pasteur Paul Efona