LE MESSAGE UNIVERSEL DE LA CROIX (1 CORINTHIENS 1, 22-25)


Paul Efona, pasteur de la Fédération des Églises évangéliques baptistes de France, présente le texte du dimanche 7 mars 2021 pour Réforme. 

22 Les Juifs, en effet, demandent des signes, et les Grecs cherchent la sagesse. 23 Or nous, nous proclamons un Christ crucifié, cause de chute pour les Juifs et folie pour les non-Juifs ; 

24 mais pour ceux qui sont appelés, Juifs et Grecs, un Christ qui est la puissance de Dieu et la sagesse de Dieu. 

25 Car la folie de Dieu est plus sage que les humains, et la faiblesse de Dieu est plus forte que les humains. 

Nouvelle Bible Segond

Notre texte émerge d’un contexte schismatique (du grec skhisma, « séparation »), sur fond de crise identitaire et de discrimination. À Corinthe, certains sont pour Paul, d’autres pour Apollos, d’autres encore pour Céphas (le nom grec donné à Pierre, NDLR), et les « spirituels » sont pour Christ. Certains commentateurs voient ici l’influence de la coutume grecque des thiases, des groupuscules cultuels constitués autour d’une divinité par une association libre d’individus. Quoi qu’il en soit, nous pouvons, à partir des versets 10 à 17, faire le constat de l’existence d’une question identitaire. Les Corinthiens, imprégnés de la mentalité de leur temps, s’approprient (sans leur assentiment) les Apôtres comme des maîtres à penser. Chacun se trouve une filiation à untel, qui peut, par la maîtrise du langage de la sagesse, le conduire à la connaissance qui permet de s’élever au dessus du commun des mortels. 

Prenant le contre-pied de cette logique, l’apôtre Paul oppose aux Corinthiens non pas le langage de la sagesse selon les hommes, mais celui de la sagesse selon Dieu, le language de la croix. On a remarqué que l’argumentation de l’apôtre Paul suivait dans cette épître un schéma circulaire de type « A B A’ », qui met en évidence le point nodal de la pensée, au centre de l’argumentation. Il me semble qu’on peut repérer ce schéma dans les quatre premiers chapitres. 

« L’apôtre Paul oppose aux Corinthiens non pas le langage de la sagesse selon les hommes, mais celui de la sagesse selon Dieu » 

Après les salutations et l’action de grâce typiques du genre épistolaire, se pose la question des divisions qui menacent l’unité (A) ; réagissant contre le discours identitaire qui met en avant leur personne « je suis… » (eigo eimi), en 1, 18 et 2, 16, Paul va faire entendre, point crucial de son interpellation, « la parole de la

croix » qui met en opposition la sagesse de Dieu et celle des hommes (B). Cette démonstration débouche en 3, 1 et 4, 21, sur l’exhortation à sortir de la logique identitaire qui divise et enferme dans des discours d’hommes (A’), au risque de perdre de vue le royaume de Dieu qui ne consiste pas en paroles, mais en puissance (4, 20). 

C’est pourtant une parole qui est au centre de l’argumentation paulinienne, « la parole de la croix » (littéralement : la parole, celle de la croix), expression tout à fait unique dans le Nouveau Testament. La croix parle et son message conteste la prétention des hommes qui pensent découvrir Dieu par la sagesse du langage ou le reconnaître à condition qu’il démontre sa puissance par des signes (sèmeïon). Cette confrontation de la parole de la croix, sagesse et puissance de Dieu versus la sagesse, est mise en évidence autour de plusieurs termes formant des couples antithétiques, par exemple folie/sagesse (1, 20-23) ; faiblesse/force (1, 25 et 27b). 

« La sagesse déroutante de Dieu se manifeste non pas dans la puissance, mais dans la faiblesse » 

La parole de la croix est proclamation (kérygme) d’un évènement historique concernant un messie crucifié (v. 23). Scandale, pierre d’achoppement pour les Juifs attachés à la représentation d’un messie-roi politique puissant, et folie pour les Grecs qui ne peuvent concevoir le langage de la croix qui atteste la réalité de l’incarnation de Dieu en même temps qu’elle le proclame Seigneur de gloire (1 Co 2, 8), élevé au-dessus de tout. À la croix, la sagesse déroutante de Dieu se manifeste non pas dans la puissance, mais dans la faiblesse, la déréliction ; non pas dans l’éblouissante lumière de sa majesté, mais dans le dénuement de son abaissement jusqu’à la mort. Et quelle mort ? La mort sur une croix, comme un maudit ! (Dt 21, 23 ; Ga 3, 13.) 

La parole de la croix est donc révolutionnaire. En elle, Dieu se révèle de manière déroutante, dans sa radicale altérité. Cette sagesse efficace rend folle la sagesse du monde, elle apporte le salut par l’évènement précis de la croix et par l’Évangile en tant que parole de la croix (voir Christophe Senft, La Première Épître de saint Paul aux Corinthiens). L’enjeu, in fine, n’est pas une question d’identification à Paul, Pierre ou Apollos, mais c’est la réception humble et confiante de la parole paradoxale de la croix. Selon Paul, l’action accomplie en

Jésus-Christ crucifié exprime pleinement la grandeur de Dieu.