MÉDISANCE, CANCANS, PAPOTAGES


Médisance, cancans, papotages

La médisance est comme de la boue jetée sur un mur, elle laisse des traces qui peuvent atteindre négativement et durablement le prochain. Comment la Bible aborde ce problème insidieux qui nous concerne tous ?

Introduction

Une fois n’est pas coutume, permettez-moi cette anecdote. Trois amis décident de se parler à cœur ouvert, chacun est invité à avouer un travers, un mauvais comportement qui lui colle à la peau et dont il aimerait s’en dégager. Le premier se lance : Euh… j’avoue que j’ai un problème avec la bouteille, quand j’en ouvre une, il faut que je la descende… et j’ai du mal à m’arrêter. Le second peu fier avoue être accro à des films interdits au moins de 18 ans… Des films d’horreur, vous comprenez ! Le troisième ne dit rien, ce qui intrigue les deux autres. Ces derniers insistent : Alors… C’est quoi ton défaut ? Finalement, il répond : “Les commérages. Et il me tarde de sortir d’ici pour aller en raconter sur vous deux !”

Commérage, cancans, papotages, médisance… qui n’a jamais cassé du sucre sur le dos de son prochain ? Nous allons voir que la Bible à des choses à nous dire sur cette question concrète qui nous concerne tous. Nous poursuivons notre lecture du chapitre 4 de l’épître de Jacques, qui s’attaque, entre autres à la médisance ou à la calomnie, « ce vice détestable, honteux… par quoi le diable nous gouverne. », pour reprendre une expression de Martin Luther dans son commentaire du huitième commandement.

Lecture de Jacques 4 : 11-12

11Frères et sœurs, ne dites pas de mal les uns des autres. Celui qui dit du mal de sa sœur ou de son frère ou celui qui le juge, dit du mal de la Loi de Dieu et la juge. Dans ce cas, tu te fais le juge de la Loi, au lieu de la pratiquer. 12Or, Dieu seul est législateur et juge ; il peut à la fois sauver et faire périr. Mais toi, pour qui te prends-tu donc pour juger ton prochain ?

A partir d’ici, j’aimerais développer trois thèses principales qui structureront mon propos. En premier lieu, je veux montrer que la médisance est une transgression de la loi divine. Deuxièmement qu’elle est une atteinte grave à l’amour du prochain. Et en fin, réfléchir à une démarche alternative qui nous est indiquée par le Christ et qui permet d’articuler deux exigences et même trois : amour, vérité et justice.

Point 1 : La médisance : une atteinte à la loi 

Nous l’avons déjà vu dans les précédents chapitres, Jacques est pleinement conscient des effets catastrophiques que peuvent produire les paroles qui sortent de nos bouches. Contre ce que les pères appelaient le « péché de la langue », Jacques met en garde  ses auditeurs, et nous aussi ses lecteurs d’aujourd’hui:

« Si quelqu’un croit être religieux, alors qu’il ne sait pas tenir sa langue en bride, il s’illusionne lui-même : sa religion ne vaut rien. » (Ja 1.26)  et un peu plus loin :

« De la même bouche sortent bénédiction et malédiction, mes frères et sœurs, il ne faut pas qu’il en soit ainsi. » (Ja 3.10)

Une première question se pose à nous : qu’est-ce que la médisance ? Qu’entendons-nous derrière ce mot ?

La médisance ce n’est pas mal parler à une personne (ce qui n’est déjà pas convenable), mais c’est parler en mal d’une personne. Jacques emploie un verbe en grec « katalaleô », qui signifie parler contre quelqu’un, dire du mal de quelqu’un, parler en mal de quelqu’un, au sens de calomnier une personne. La version Bible du Semeur a traduit « ne vous critiquez pas les uns les autres », je trouve que cette traduction, sans doute défendable, ne rend pas précisément compte de ce que Jacques nomme ici. Il s’agit de tenir contre l’autre des propos mensongers, des paroles ou même des insinuations fausses à son égard. L’Apôtre Pierre emploie dans ce sens le même terme au sujet des chrétiens de son temps victimes de calomnies au sein de l’empire romain où ils étaient dispersés (Cf. 1 Pi 2.12). 

La médisance est une transgression de l’interdit biblique à ne pas « porter faux témoignage contre son prochain », qui est le huitième des dix commandements ou des dix paroles de l’alliance du Sinaï.

« Tu ne diras pas de faux témoignage contre ton prochain » Exode 20, 16

Dieu qui a en horreur la langue mensongère comme le rappelle le livre des proverbes

: « Il y a six choses que l’Eternel déteste, et même sept dont il a horreur : les yeux hautins, la langue menteuse, les mains qui versent le sang innocent, le cœur qui médite des projets injustes, les pieds qui se dépêchent de courir au mal, le faux témoin qui dit des mensonges et celui qui provoque des conflits entre frères. » (Pr 6.16-19)

A deux reprises il est question de mensonge : langue menteuse et faux témoin. Comme souvent, le propos de Jacques est nourri de réminiscences de l’ancien Testament, et en particulier des livres de sagesse.

Que l’Eternel ait en horreur la calomnie et la langue menteuse, c’est aussi ce que rappelle le psalmiste :

« Celui qui calomnie en secret son prochain, je l’anéantirai; Celui qui a des regards hautains et un coeur enflé, je ne le supporterai pas. » Psaume 101:5

La médisance est transgression de la justice dans la mesure où le médisant fausse les fondements même de la justice. En parlant en mal contre son prochain, non seulement il le charge devant un tribunal d’hommes qu’il s’est constitué, et puisqu’il parle dans le dos de son prochain qui ne peut pas se défendre, il bafoue un droit fondamental de toute personne qui est mise en accusation,  à savoir : le droit de se défendre, de faire entendre sa part de vérité. Le médisant, manque à cette exigence de toute vraie justice.

Mais il y a plus, si j’ai bien lu Jacques, c’est que ne se contentant pas seulement d’être plaignant, puis procureur contre son prochain, il se prend pour juge de celui-ci. Ce faisant, il se met à la place de Dieu. Or comme le rappelle Jacques : « Dieu seul est législateur et juge ; il peut à la fois sauver et faire périr. Mais toi, pour qui te prends-tu donc pour juger ton prochain ? »

Le médisant se prend pour plus juste que le seul juste ! Il sort de sa place de créature pour usurper la place du créateur ! Une telle attitude ne peut avoir que des effets dévastateurs contre le prochain, car comme j’aime à la rappeler, lorsque Dieu est bafoué, c’est le prochain, crée en son image, qui trinque !

Point 2 : La médisance : Une atteinte à l’amour du prochain

Nous avons rappelé le huitième commandement : Tu ne diras pas de faux témoignage contre ton prochain (Ex 20.16) Il a pour objectif premier de prévenir les atteintes à l’égard du prochain, et en particulier sa réputation.

Dans une société où l’honneur n’est pas une question d’argent, ni de statut social, mais le prestige de celui qui a bonne réputation, l’honorabilité d’une personne compte. Un passage d’ailleurs du livre des proverbes ne dit-il pas qu’une bonne réputation vaut mieux qu’un parfum de grand prix ?

L’honorabilité morale d’une personne est un bien précieux que le Seigneur veut protéger. Comme l’écrit Luther une fois de plus : « Outre notre corps, notre épouse et nos biens temporels, nous possédons encore un trésor, à savoir l’honneur et la bonne réputation dont nous ne pouvons pas non plus nous passer. Car il n’est pas bon de vivre parmi ses semblables dans une ignominie manifeste, méprisé par tous. C’est pourquoi Dieu veut que, pas plus que l’argent et que le bien d’autrui, ne soient ravis ou diminués la réputation, le bon renom, et la justice du prochain, afin que chacun reste en honneur au regard de sa femme, de ses enfants, de ses domestiques et de ses voisins. » (MLO, Tome VII, p.74)

La médisance est fondamentalement une atteinte à l’amour du prochain, parce qu’elle blesse le prochain. Comme le dit Bob Gass, elle est comme de la boue qu’on balance sur un mur, même si ça ne colle pas, ça laisse des traces et certaines sont durablement mortifères. Il y a dans la médisance un désir inconscient de « meurtre symbolique », et en cela, elle est une violence qui dit un manque d’amour fraternel. Elle est déni de fraternité.

 La médisance, est souvent insidieuse. Elle consiste aussi à rapporter aux autres la faiblesse, la faute, le péché de l’autre. Le fait de connaître la faiblesse de l’autre, n’implique pas le droit de l’étaler publiquement ni de le répandre en murmures. J’ai moi-même considéré pendant longtemps que la médisance consistait seulement à rapporter ce qui faux contre autrui. Mais en lisant Luther ces jours-ci, j’ai réalisé que la médisance était aussi une forme de commérage,  consistant à étaler la faiblesse de l’autre ou à se plaire à papoter sur les autres. C’est la raison pour laquelle j’ai dit à l’instant que la médisance  est souvent insidieuse. Je citerai encore le Réformateur Martin Luther :

« Je puis, assurément, voir et entendre que mon prochain commet un péché, mais je ne suis aucunement chargé de le rapporter à autrui. En intervenant, en jugeant, et en condamnant, je tombe dans un péché plus grand que ne l’est celui-là. Or donc, si tu le sais, n’agis pas autrement : fais de tes oreilles un tombeau, et ensevelis cela jusqu’à ce qu’il te soit donné à charge d’être juge et de punir d’office. 

Les médisants, ce sont, par conséquent, ceux qui se contentent pas de savoir, mais vont plus loin en anticipant sur le jugement et qui, quand ils connaissent un détail concernant autrui, le colportent dans tous les coins, et sont démangés du plaisir de pouvoir farfouiller dans la souillure d’un autre, comme les pourceaux qui se vautrent dans la fange et y fourragent avec leur groin. » (Ibid, p.76)

L’image des pourceaux qui se vautrent dans la fange et y fourragent avec leur groin est pédagogiquement efficace pour susciter dégoût. C’est le sentiment que j’ai eu. Comment se conduire autrement qu’en pourceaux qui fourragent avec leur groin dans la fange ? Une démarche alternative nous est recommandée par le Christ.

Point 3 : Se parler, Une alternative à la médisance

Avec ou malgré nous, il arrive que nous soyons embarqués dans des confidences qui en fait sont la chambre voisine de la médisance. Comment stopper l’engrenage de la médisance ? Une manière spécifiquement chrétienne, consiste à mettre en œuvre le conseil que nous donne Jésus en Matthieu 18 : 15 et suivants

« 15Si ton frère fait ce qui est mal contre toi, va le trouver seul à seul et montre-lui sa faute. S’il t’écoute, tu as gagné ton frère. 16Mais s’il refuse de t’écouter, prends une ou deux personnes avec toi, afin que, comme le dit l’Écriture, “toute affaire soit réglée sur le témoignage de deux ou trois personnes.” 17Mais s’il refuse de les écouter, dis-le à l’Église ; et s’il refuse aussi d’écouter l’Église, considère-le comme un païen ou un collecteur d’impôts. »

Ne pas médire contre son prochain, ne veut pas dire ne rien dire à son prochain, ne pas lui parler en vérité. Cette parole du Christ, empreinte de sagesse, nous montre une voie qui articule l’exigence de l’amour fraternel et celui de la vérité. Jésus nous recommande 3 pas vers la bonne direction.

Le premier pas qui nous éviterait bien souvent de tomber dans le piège de la médisance, consiste à aller trouver son frère/sa sœur, seul.e à seul.e pour lui montrer sa faute. C’est là un premier pas qui n’est pas toujours évident à faire, mais c’est celui qui nous met dans la bonne direction. 

Souvent, nous avons peur de cette étape, suivant la personnalité du frère ou de la sœur. Nous évitons la confrontation, l’opposition front contre front. Or, ce n’est précisément pas dans un esprit de confrontation que Jésus nous envoie. D’une part il ne s’agit pas de confronter le frère ou la sœur à ma personne d’abord, mais de placer devant lui un fait, une parole, un acte objectivement mal qui m’a atteint. Ce premier pas s’inscrit d’autre part dans un espace qui n’est pas vraiment un entre-deux, mais une rencontre à trois, puisque le Christ qui nous envoie nous y accompagne. C’est le pasteur et théologien Dietrich Bonhoeffer qui nous rappelle que dans la vie communautaire, aucune rencontre authentique du frère/de la sœur, ne peut avoir lieu en dehors du Christ. Communauté chrétienne veut dire essentiellement communauté en et par Jésus-Christ.  Et nous ne l’oublions que trop souvent !

Le second pas nous invite à trouver l’aide de un ou deux témoins suivant la coutume juive consacrée par la loi de Moïse. Ce second pas, cette fois à deux ou trois, montre qu’il peut être nécessaire de se faire accompagner et aider dans cette démarche. Certains conflits ou problèmes en effet peuvent se dénouer avec l’aide d’un tiers, d’une personne de confiance capable d’aider deux parties à trouver dans la bienveillance un chemin de dépassement de ce qui a fait obstacle à la relation. Tout le monde n’est pas apte à jouer un tel rôle. Par ailleurs, ce n’est pas ici un pis-aller qui s’appliquerait à tous les problèmes de manière indifférenciée.

Le troisième pas, n’est rendu nécessaire que par la persévérance de l’amour fraternel face à l’obstination (de toute évidence) déraisonnable d’un frère ou d’une sœur qui refuse toute remise en question alors même qu’il y a objectivement lieu de le faire. Ce troisième pas élargit à l’Eglise n’a rien à voir avec la justice populaire, ni le lynchage fraternel. L’Eglise peut être comprise dans le sens restreint du collège des responsables qui sont mandatés par l’Eglise pour la conduire et exercer la discipline. Cette discipline (comme les deux autres pas), vise un même but, gagner un frère ou une sœur, c’est-à-dire, faire triompher l’amour et la vérité par la justice qui condamne le mal et ouvre un chemin de dépassement, d’abord à l’offensé, puis à l’offenseur. Si ce dernier n’accède pas à cette démarche, alors il est à considérer comme un païen, avec ce que cela implique en termes de compassion, d’annonce renouvelée de l’Evangile, qui inclut aussi un avertissement adressé à toute personne. Un jour, il faudra répondre devant Dieu à l’une des premières questions de la Bible : « qu’as-tu fais de ton frère ? »

Conclusion

Nous n’épuiserons pas le sujet. Mais nous l’avons vu, la médisance est atteinte à la parole de Dieu, atteinte au prochain, manquement à la double exigence de l’amour et de la vérité. Elle peut, comme la boue jetée sur un mur, laisser des traces qui salissent durablement l’honneur d’une personne. Le Christ nous invite, à choisir un chemin alternatif, en posant trois pas vers la bonne direction, celle qui permet la rencontre de l’amour et de la vérité, de la justice et de la paix. Il nous accompagne dans cette démarche et nous assure de sa présence. Chaque étape de cette démarche, important de le signaler, doit aussi se vivre dans la prière. En effet, le Christ nous dit dans le contexte de ce passage : « J’ajoute que si deux d’entre vous se mettent d’accord ici-bas au sujet d’un problème pour l’exposer à mon Père céleste, il les exaucera. Car là où deux ou trois sont ensemble en mon nom, je suis présent au milieu d’eux. » (Mt. 18 : 19-20) 

Alors, grande promesse de vie que nous rappelle ailleurs l’apôtre Pierre citant le psaume 34 : « Celui qui veut aimer la vie et voir des jours heureux doit veiller sur sa langue pour ne faire aucun mal par ses paroles, et pour qu’aucun propos menteur ne passe sur ses lèvres… car les yeux du Seigneur se tournent vers les justes : il tend l’oreille à leur prière. Mais le Seigneur s’oppose à ceux qui font le mal. » (1 Pi 3.10-12) 

« Eternel, délivre mon âme de la lèvre mensongère, De la langue trompeuse ! »


Amen

Pasteur Paul Efona