UN ROI PAS COMME UN ROI


En ce dimanche des rameaux, nous célébrons l’entrée de Jésus à Jérusalem qui ouvre la semaine sainte. Une entrée détonante, soigneusement mise en scène : Jésus choisit d’entrer à Jérusalem comme un roi, mais un roi pas comme les autres.  

Ouverture : Le propriétaire de l’ânon1

 Il n’a rien dit ! Il s’est laissé détacher et emmener par des étrangers. Pourtant c’est un farouche, Tristounet… Ah, oui : Tristounet c’est le nom de mon âne. Il encore tout jeune. Un beau poil gris, de belles dents, une petite crinière bien drue, mais des yeux… des yeux à faire pleurer des invités un jour de noce ! On dirait qu’il est malheureux d’être né… C’est pourquoi je l’ai appelé Tristounet.

Quand j’ai vu ces hommes arriver devant chez moi et détacher mon âne, je me suis dit qu’ils étaient un peu culottés. Mais comme ils avaient l’air de bons garçons, je leur ai demandé, sans m’énerver : « Pourquoi est-ce que vous détachez ce petit âne ? » Vous savez ce qu’ils m’ont répondu ? « Le Seigneur en a besoin. ». Imparable ! Ah, si le Seigneur en a besoin, alors il n’y a rien à dire. Mais en les laissant partir, je me suis quand même demandé de quel Seigneur il s’agissait… Le Seigneur d’en haut ? Du ciel ? Dans ce cas, il aurait pu m’avertir… Un seigneur du genre chef, roi, ou gros propriétaire ? Pourquoi aurait-il besoin de mon âne ? Et voilà qu’en regardant d’ici, je les ai vus faire monter dessus Jésus. C’est qu’ici  on le connaît, Jésus, il est passé plusieurs fois avec ses disciples… un homme comme un roi, mais qui ne ressemble pas du tout aux rois qu’on voit… un homme comme un chef, mais qui n’a rien à voir avec les nôtres… bref, un homme comme… un homme, mais pas pareil !

Tristounet, il n’a pas l’habitude de porter quelqu’un, ça doit lui faire drôle, surtout avec toute cette foule qui descend maintenant avec eux du mont des Oliviers ! On les entend d’ici. Ils chantent, ils crient ! Ils vont faire entrer Jésus dans Jérusalem comme si c’était un roi ! Un roi mais pas comme un roi… oui, je l’ai déjà dit… Mais comme ce n’est pas un roi comme un roi, ni un chef comme ce qu’on voit… voudront-ils de lui à Jérusalem ?

En ce dimanche des rameaux, les chrétiens célèbrent l’entrée de Jésus à Jérusalem qui inaugure le début de ce qu’on appelle la semaine sainte. Cette semaine au cours de laquelle nous allons nous souvenir de la manière dont le Seigneur Jésus, par amour pour l’humanité,  a affronté le chemin de la croix, de son agonie au jardin de Gethsémané en passant par son arrestation et son procès, il souffrit l’infâme croix,  jusqu’au don total de sa vie, pour notre Salut !

Ecoutons maintenant l’Evangile de Jean, qui nous rapporte, comme les évangiles synoptiques cette montée de Jésus à Jérusalem.

Lecture de Jean 12 : 12-16

12Le lendemain, la foule considérable qui était venue pour la fête de la Pâque apprit que Jésus arrivait à Jérusalem. 13Tous prirent des branches de palmiers et sortirent de la ville pour aller à sa rencontre ; ils criaient : « Hosanna ! Que Dieu bénisse celui qui vient au nom du Seigneur ! Que Dieu bénisse le roi d’Israël ! » 14Jésus trouva un ânon et s’assit dessus, comme l’annonce l’Écriture : 15« N’aie pas peur, ville de Sion! Regarde, ton roi vient, assis sur le petit d’une ânesse. » 16Ses disciples ne comprirent pas tout de suite ces faits ; mais lorsque Jésus fut élevé en gloire, ils se rappelèrent que l’Écriture avait annoncé cela à son sujet et qu’on avait accompli pour lui ce qu’elle disait.

D’une montée à l’autre

Jésus monte à Jérusalem dans le cadre de la grande fête juive de la pâque. Dans l’évangile de Jean, durant son ministère public, Jésus a célébré trois fêtes de Pâques : une première pâque à laquelle était liée la purification du Temple (2.13-25) ; une deuxième Pâque associée à la multiplication des pains (6,4) et cette troisième Pâque qui est devenue pour nous sa grande Pâque, associée à sa mort et à sa Résurrection, que nous célèbrerons dimanche prochain.

La montée de Jésus à Jérusalem est d’abord une « montée » au sens géographique du terme. En effet, la mer de Galilée est située à environ 200 mètres sous le niveau de la mer, la hauteur moyenne de Jérusalem est de 760 mètres au-dessus de ce niveau. 

Mais cette montée vers Jérusalem et son Temple, est aussi une montée intérieure dont le but ultime est l’offrande de lui-même sur la Croix, c’est la montée de l’amour qui surmonte l’affront et triomphe de la haine, c’est la montée vers la véritable Jérusalem, celle qui n’est pas construite de la main des hommes, mais qui nous est préparée aux cieux et qui descendra d’en haut (Ap 21)

En attendant, la destination immédiate de Jésus est bien Jérusalem, la ville sainte avec son Temple. Venant de Bethpagé et de Bethanie, Jésus arrive au Mont des Oliviers, d’où on attend l’entrée du Messie. D’après les autres évangiles, c’est de là que Jésus envoie deux disciples vers le village en face pour chercher un ânon jamais monté, sur lequel il va faire son entrée dans la ville, portée par la clameur de la foule. 

Pour nous aujourd’hui, une telle mise en scène est plutôt exotique et sans réel intérêt. Mais pour les juifs du temps de Jésus, cette mise en scène était lourde de signification et porteuse d’une espérance : Et si l’heure tant espérée de la venue d’un roi, d’un fils de David, était enfin arrivée ! Les romains, ces colons qui les exaspérait et nourrissaient leurs velléités révolutionnaires allaient bientôt voir ce qu’ils allaient voir ! Certains s’imaginent déjà voir Jérusalem purifiée, libérée de l’occupant romain.  Et Jésus, fils de David, siéger et diriger la ville sainte. Mais tel n’est pas vraiment le scénario de Jésus. 

Jésus comme un roi

Par la mise en scène soigneusement réfléchie, Jésus se présente comme un roi. 

  • D’abord Jésus exerce un droit royal connu depuis l’Antiquité : le droit royal de la réquisition de moyens de transport. Ici en l’occurrence, il réquisitionne un ânon. Mais pas n’importe lequel (Tristounet !), un ânon sur lequel personne n’était encore monté !

Cette évocation de sa royauté est appuyée par des références bibliques puis

  • En Genèse 49,10s il est question de la bénédiction de Jacob où est remis à Judas le sceptre, qui ne s’éloignera pas de ses pieds « jusqu’à ce que vienne celui à qui le pouvoir appartient, à qui est due l’obéissance des peuples ». Il est dit de lui qu’il liera son âne à un cep de vigne (Gn 49.11). La mention de l’âne lié nous renvoie donc à cette bénédiction prophétique que Jésus, descendant de Judas,  accomplit. Il est celui  qui devait venir, celui à qui appartient le sceptre royal.


Mais un roi pas comme les autres

Matthieu et Jean se réfère à la prophétie de Zacharie 9.9-10

 « 9Éclate de joie, Jérusalem ! Crie de bonheur, ville de Sion ! Regarde, ton roi vient à toi, juste et victorieux, humble et monté sur un âne, sur un ânon, le petit d’une ânesse. 10À Ephraïm, il supprimera les chars de combat et les chevaux, à Jérusalem ; il brisera les arcs de guerre. Il établira la paix parmi les pays ; il sera le maître d’une mer à l’autre, depuis l’Euphrate jusqu’au bout du monde. »

Le prophète Zacharie a exercé son ministère au 6e siècle avant Jésus-Christ. Pendant une longue période, une partie des Israélites ont été en exil en Babylone, et Jérusalem était dévastée. Mais vers 538 av. J-C, l’empire Perse autorise le retour des exilés, la reconstruction de Jérusalem et la reprise des cultes. Zacharie exprime sa reconnaissance à Dieu et exhorte le peuple et les responsables au courage et à la persévérance. Mais dans la seconde partie de son livre, d’où est tiré notre passage, alors que la ville et le Temple ont été reconstruits, les institutions remises en place, le prophète exhorte le peuple à ne pas se contenter de ce qui a été fait, mais à s’ouvrir à une espérance et à un avenir promis, mais que les humains ne peuvent pas réaliser par eux-mêmes.

L’avenir que Zacharie annonce est liée à la venue d’un roi pas comme les autres. Ce roi-là ne vient pas avec des chars de chevaux de guerres. Il ne vient pas avec la puissance militaire comme les chefs d’ici-bas aiment se donner à voir lors des fêtes nationales. Au contraire, il nous est présenté un roi humble, qui choisit de se déplacer sur une monture ordinaire, comme David son ancêtre autrefois entra à Hébron sur le dos d’un âne. C’est un roi rempli d’humilité, un roi de la simplicité, et surtout un roi pacifique : il supprimera les chars de combats et les chevaux, il brisera les arcs de guerre, il établira la paix entre les nations. 

Jésus veut que son cheminement vers Jérusalem soit compris et interprété à la lumière des Ecritures. C’est donc intentionnellement, volontairement qu’il se présente en roi humble et pacifique dont le règne est universel !

Revenons à notre récit. La mise en scène de Jésus semble avoir été bien décryptée par les foules qui prennent des branches de palmiers et lui déroulent un « tapis rouge » constitué des manteaux qu’ils jettent sur son chemin. Le fait d’étendre les manteaux a aussi sa tradition dans la royauté d’Israël (2 R 9.13). Ce que font les disciples et les foules ici est en fait un acte d’intronisation de Jésus, il est le digne fils de David, le roi messianique annoncé par les prophètes. Gagné par l’enthousiasme des disciples, les pèlerins qui  montent avec Jésus vers Jérusalem étendent aussi leurs manteaux sur la route où il s’avance et ils crient des paroles du psaume 118. 26 : « Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! »

Hosanna !

Cette parole est précédée d’un « Hosanna ! » qui est à l’origine une prière, une parole de supplication : « Au secours, Seigneur ! » ou « De grâce, sauve-moi ! » mais cette supplication, au fil du temps, était devenue une proclamation, une joyeuse louange à Dieu. Cette louange est associée à la venue du Messie. L’heure d’une espérance nouvelle est arrivée. Le roi fait son entrée et un règne nouveau est inauguré avec ce fils de David.

« Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! »

Cette parole du psaume 118 appartenait dans un premier temps aux psaumes des pèlerins. C’est ainsi qu’ils étaient accueillis et salués à l’entrée de la ville de Jérusalem ou du Temple : « Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! Nous vous bénissons de la maison du Seigneur.»

Bénédiction adressée par les prêtres aux pèlerins au départ, devenue ici louange en l’honneur de Jésus reconnu comme le Pèlerin par excellence. Comme pèlerin, il vient à notre rencontre, il nous associe à sa montée vers la croix et à sa Résurrection. A sa suite, nous devenons aussi des pèlerins en marche non pas vers la Jérusalem terrestre, mais vers la Jérusalem céleste, celle qui vient d’en haut et dont le nombre de citoyens est en croissance au milieu de ce monde (Lire Apocalypse 19.5-9 ; 21.2-4).

Ce monde en crise a besoin que nous soyons ces pèlerins porteurs d’une espérance qui relève les cœurs découragés. 

Bon dimanche de rameaux et bonne montée vers pâque à tous. Amen !

Pasteur Paul EFONA


1 Extraits, d’après Alain Combes, L’Evangile en sketches et monologues (Luc et Jean), 2012, éd. Emmaüs